L'île de Fuerteventura ou l'île Pourpre est l'une des îles
Canaries autrefois appelées les îles Fortunées. Située à 100
Km à l'est de la Grande Canarie et à moins de 90 Km des côtes
africaines, d'une superficie de 1731 Km2 avec un taux de
peuplement faible de 23 hab/Km2, Fuerteventura présente de
nombreuses similitudes avec le continent africain.
Le climat de l'île est sec et chaud. La quantité de
précipitations, toujours faible, est très variable d'une année
sur l'autre et il peut ne pas pleuvoir du tout certaines années.
L'île est exposée à l'harmatan, un vent sec venu du désert du
sahara.
L'île, composée de deux entités, au Nord "la
Maxorata", la plus grande, au Sud la péninsule de Jandia,
est d'origine volcanique avec des sommets ne dépassant guère
800 m (807 m pour El Pico de la Zarza, le plus haut sommet de
l'île); peu de terres cultivables, à part certaines oasis et
une terre rocailleuse avec ici et là des coulées volcaniques
pour le reste.
En juin 1995, je partais donc à la découverte de cette île,
590 ans après Jean de Béthencourt. En 1405, Jean de
Béthencourt, gentilhomme et navigateur normand, soumet l'île de
Fuerteventura "Que fuerte ventura", "la forte
aventure", s'exclama-t-il, pour le compte du roi de Castille
Henri III, puis rapidement fonde la ville de Betancuria.
Mais comme vous pouvez l'imaginer, l'objectif principal était la
découverte de la flore avec principalement deux espèces
magnifiques, l'Euphorbia handiensis et le Caralluma burchardii.
Quelques espèces d'Agaves et d'Opuntia ont été introduites et
ont une fâcheuse tendance à proliférer au détriment de la
végétation spécifique de l'île.
Le premier jour, je dirige mes pas vers les dunes de
Corralejo, parc national situé au Nord-Est de l'île, pour
découvrir un spectacle merveilleux. Un désert de sable dans
lequel j'aperçois Euphorbia paralias, espèce non succulente
poussant dans des sables, mais où je recherche en vain
Androcymbium psammophilum, une petite Amaryllidacées dont le
cycle végétatif est malheureusement déjà terminé. A
l'approche de la station balnéaire de Corralejo, le sable cède
progressivement la place à un désert rocailleux, et diverses
espèces apparaissent dont le Senecio kleinia dont le port est
plus succulent qu'à Ténériffe en raison de la sécheresse du
climat.
Soudain, sur une pente rocailleuse, légèrement escarpée, à ma
grande surprise et à ma grande joie, je découvre une station de
Caralluma burchardii, un véritable bijou, à quelques centaines
de mètres de l'urbanisation touristique -une station, hélas qui
risque de disparaître ... menacée par le béton- Cette station
n'était signalée dans aucun guide botanique. Caralluma
burchardii est constitué de tiges succulentes érigées, de 10
à 20 cm de hauteur, quadrangulaires- Les inflorescences
terminales sont constituées d'environ six fleurs, de couleur
pourpre à brun avec une ciliation blanche marginale.
Malheureusement, je ne pus observer en juin que les fruits de 10
cm de long, légèrement incurvés, typique de la famille des
Asclépiadacées.
Le lendemain, je décidais d'explorer la région de la Oliva où d'après la Flore des Canaries, on trouve Caralluma burchardii. Mais, après avoir exploré quelques sommets (de 150 à 250 m), je renonce, l'espèce n'est pas présente. Je ne découvre que quelques exemplaires d'Euphorbia obtusifolia, broutés par les chèvres. Je me dirige alors vers le Sud, vers Betancuria, Pajara et Tuineje. Peu avant Betancuria, Euphorbia obtusifolia apparait ça et là, puis vers 500 m d'altitude dans les Morro de la Cruz, un peuplement important s'offre à mes yeux. L'humidité un peu plus élevée permet le développement de l'espèce avec un chardon magnifique Onopordum nogalesii et d'autres composées. L'Euphorbia obtusifolia est en pleine floraison, de magnifiques inflorescences en ombelles, avec de larges bractées persistantes de couleur jaune-verte -une belle espèce courante sur l'île- Je reprends la route et soudain, quelques Km avant Pajara, vers 450 m d'altitude, j'aperçois une autre Euphorbe sur les pentes. Il s'agit cette fois d'Euphorbia balsamifera en fleurs qui se présente sous une forme différente, des arbrisseaux ramifiés dès la base, de 2 m à 2,50 m de hauteur ... et la montagne en est couverte, un paysage enchanteur. Je m'arrête ensuite quelques instants près du moulin d'Antigua et je remarque, planté et naturalisé Aelonium balsamiferum, originaire de l'île voisine de Lanzarote.
Le lendemain, je retourne vers La Oliva pour découvrir le site à Caralluma burchardii qui pousse sur les pentes volcaniques sèches. Après consultation de la carte, de la flore, l'observation précise du paysage, je décide de m'orienter vers le volcan Arena, 420 m d'altitude. Le paysage est splendide, des coulées de lave ont formé un chaos inextricable, colonisé par la végétation, Senecio kleinia et Euphorbia obtusifolia sont présents en grande quantité. J'avance de quelques dizaines de mètres et je découvre enfin "la plante", le Caralluma burchardii, d'abord quelques pieds isolés qui se confondent avec la lave, puis le sol en est couvert. Nous sommes à 285 m d'altitude. Le biotope est merveilleux, l'espèce prolifère bien, par voie végétative surtout, car la plante est stolonifère ... ce n'est pas une espèce en voie de raréfaction que certains annonçaient. Je reste là, émerveillé, plusieurs heures à parcourir et contempler ce biotope, guère menacé. Je décide d'explorer d'autres sentiers et à Villaverdé, 295 m d'altitude, je découvre un nouveau biotope, riche en Caralluma burchardii, des plantes encore plus grandes, jusqu'à 20-25 cm de hauteur en excellente santé. Une bonne moisson pour la journée, le repos est bien mérité.
Dernier objectif, la péninsule de Jandia, au Sud de l'île,
à environ 95 Km de mon hôtel. La route me mène à GranTarajal
puis Tarajalejo longeant la mer et les plages de sables noirs,
enfin l'isthme de la Pared et les plages de sables blonds de
Sotavento s'offrent à ma vue, un émerveillement de plus. Peu
après Morro Jable il me faut suivre une piste bien entretenue
mais poussiéreuse. Un peu plus loin, j'empreinte une piste
secondaire cahoteuse, vers le Nord, en direction de Gran Valle;
j'aperçois la magnifique Euphorbia handiensis formant des
touffes de 1 m à 1,50 m de diamètre sur 80 cm de hauteur.
L'espèce est abondante, des touffes adultes mais beaucoup de
jeunes, entre 80 m et 100 m d'altitude, cependant le biotope est
dégradé par le piétinement, une bergerie et un circuit de
moto-cross situés à proximité peuvent expliquer cet état. Ce
biotope demanderait une réelle protection pour assurer la survie
de la population. Dès 90 m apparaissent Senecio kleinia et
Euphorbia obtusifolia tandis que Euphorbia handiensis disparaît
vers 200 m. Vers 280 m au fond de la barranco se développe une
magnifique population d'Euphorbia balsamifera dont le port est
comparable à celles que j'ai pu observer à Ténériffe, en
buisson ramifié dès la base. A l'altitude de 450 m l'espèce se
développe à flanc de rocher, balayée par le vent, formant de
véritables plantes naines de 20 cm à 30 cm de hauteur. En
regagnant la piste principale, je découvre quelques touffes
d'Euphorbia canariensis.
Euphorbia handiensis est une espèce très ramifiée, à port
cactiforme. La tige comporte entre 8 et 14 côtes munies
d'épines disposées par paires de 2 à 3 cm de longueur. Les
fleurs sont rouges et les fruits brun-rouge. Cette espèce est
proche d'Euphorbia fruticosa du Yemen, ce qui montre les
affinités entre la flore canarienne et celle de la péninsule
arabique.
Continuant la piste, j'aperçois dans la barranco de Los
Mosquito, vers 90 m d'altitude, une nouvelle population
d'Euphorbia handiensis. J'arrête la voiture et continue à pied,
le biotope que je découvre est splendide, merveilleusement
préservé, des individus de tous âges, en excellente santé se
développent d'abord en population uniforme, puis de 90 m à 160
m en association avec Senecio kleinia et Euphorbia balsamifera et
au delà apparait Euphorbia obtusifolia -un site enchanteur que
j'explore avec le plus grand plaisir-
La piste franchit ensuite la montagne en direction du Nord. Au
sommet, je découvre les fabuleuses plages de Cofète, du sable
blond à perte de vue, sans urbanisation ... l'industrie du
tourisme n'est pas encore arrivée jusque là ... pour combien de
temps !! Entre 100 m et 170 m d'altitude sur les pentes rocheuses
survit une population d'Euphorbia canariensis, composée
uniquement d'individus très âgés, visiblement cette population
ne semble pas pouvoir se renouveler.
L'île de Fuerteventura demeure encore sauvage, mais les touristes commencent à affluer et dans les années prochaines, on peut craindre le pire pour nombre de biotopes.
Norbert REBMANN
président de la Société Succulentophile de l'Est Francilien
(S.S.F.)
16 rue Charles Pathé
94300 VINCENNES, FRANCE